Pratique du ministère chez Saint-Paul

Le Père Chevrier considérait Saint Paul comme le modèle de l’apôtre, le modèle du prêtre. Il n’a pas cessé, tout en scrutant les Évangiles, de se mettre aussi à l’écoute de ce que l’Esprit Saint pouvait lui révéler à partir de l’étude des textes de Paul. C’est ce travail qui se prolonge ici dans une méditation consistante du ministère de l’Apôtre des nations. Saint Paul est cet homme « choisi par Dieu » qui a conscience d’avoir été « mis à part » par lui sur la route de Damas, qui a mûri sa foi dans la maison d’Ananias pour une seule tache « annoncer l’Évangile » au monde. Les actes des apôtres nous le montrent envoyé avec Silas pour une première mission en Samarie puis en Asie mineure, puis enfin jusqu’au cœur de l’empire. Il prend les grandes voies romaines et cherche les points de rencontres. Ici ce sont les synagogues afin de dévoiler au peuple de l’alliance la nouvelle alliance et puis le voilà sur les places et les routes, au bord du fleuve comme dans les théâtres. En cela, il imite le maître qui est allé dans les synagogues et les maisons comme dans le temple ou sur la margelle du puits. Comme Jésus Paul cherche les hommes et les femmes travaillés par l’Esprit Saint. Dans cette étude d’Évangile, nous allons nous attacher à comprendre comment Paul vit son ministère et en dégager quelques caractéristiques.

I – PAUL : UN MINISTÈRE DE FONDATION PAR L’ANNONCE DE l’ÉVANGILE

I.1 Lorsque Paul arrive dans une communauté, cherche à comprendre et rejoindre le peuple auquel il est envoyé. Ainsi, à l’égard des Corinthiens « Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous, afin de gagner le plus grand nombre. Je me suis fait Juif avec les Juifs, afin de gagner les Juifs ; sujet de la Loi avec les sujets de la Loi — moi, qui ne suis pas sujet de la Loi — afin de gagner les sujets de la Loi. Je me suis fait un sans loi avec les sans loi — moi qui ne suis pas sans une loi de Dieu, étant sous la loi du Christ — afin de gagner les sans loi. Je me suis fait faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l’Évangile. » (1Co 9, 19-22). Il regarde les gens auquel s’adresse la Parole. Il parle d’une manière juive avec les juifs expliquant au travers de l’histoire du peuple hébreux les préparations du Messie. Ainsi à Antioche de Pisidie, il revisite toute l’Écriture. Il montre comment Dieu parle à son peuple et agit pour son peuple pour en arriver à Jésus que Dieu ressuscite : « Nous aussi, nous vous annonçons cette bonne nouvelle : la promesse faite aux pères, Dieu l’a pleinement accomplie à l’égard de nous, leurs enfants, quand il a ressuscité Jésus » (Ac 13) Mais, avec les païens, il va s’en référer au Dieu de la création, du ciel, de la terre et des étoiles. « Amis, que faites-vous là ? Nous aussi, nous sommes des hommes, soumis au même sort que vous, des hommes qui vous annoncent d’abandonner toutes ces vaines idoles pour vous tourner vers le Dieu vivant qui a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve. Dans les générations passées, il a laissé toutes les nations suivre leurs voies ; il n’a pas manqué pour autant de se rendre témoignage par ses bienfaits, vous dispensant du ciel pluies et saisons fertiles, rassasiant vos cœurs de nourriture et de félicité… » (Ac 14, 15-17).

I.2 – Toujours il cherche à greffer sur un savoir religieux, sur une approche du monde la bonne Nouvelle de l’Évangile, car Dieu est toujours à l’œuvre depuis la création du monde. Lors de sa venue à Athènes il cherche à joindre la sagesse grecque mais son message est peu reçu ; à Corinthe il se met à l’écoute du petit peuple des pauvres, sans grande instruction. Il sait combien est grande la ville avec les cultures diverses, propres aux grands ports. Y avait-il 500 000 citoyens, esclaves, prostituées, riches et pauvres ? peut-être pas mais la ville était très grande avec une population cosmopolite avec son commerce et sa moralité approximative. A cette ville marquée de diverses pauvretés, il décide d’annoncer le Christ pauvre et crucifié. C’est ainsi qu’il veut donner le visage du Christ pauvre aux Corinthiens afin qu’ils connaissent, au travers de leur pauvreté, ce Dieu aussi surprenant. « Pour moi, quand je suis venu chez vous, frères, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige de la parole ou de la sagesse. Non, je n’ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. Moi-même, je me suis présenté à vous faible, craintif et tout tremblant ; ma parole et mon message n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse ; c’était une démonstration d’Esprit et de puissance, pour que votre foi reposât, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » (1 Co 2, 1-5).

I.3 – Paul témoigne alors d’une conviction profonde : le fondement d’une communauté, en définitive, c’est la personne du Christ. Il le dit lui-même au chapitre 3 « Selon la grâce de Dieu qui m’a été accordée, tel un bon architecte, j’ai posé le fondement. De fondement, en effet, nul n’en peut poser d’autre que celui qui s’y trouve, c’est-à-dire Jésus Christ » (1 Co 3). Le ministère de fondation d’une communauté paulinienne c’est de permettre au Christ d’être à la base et au principe d’une vie de disciple et d’une vie communautaire. Comme il voudrait que lestous les païens puissent accéder à telle grâce ! Lui qui se perçoit comme envoyé pour prêcher à tous les païens « l’obéissance de la foi » (Ro 1,5).

• Prenons-nous suffisamment le temps de regarder la situation humaine d’un pays, d’une ville, d’un quartier ou d’un village, les mentalités et tout ce qui façonne la vie des hommes ? Quel effort d’écoute et d’intelligence spirituelle en vue de fonder l’Église de Dieu chez les plus loin, les plus pauvres ?

• Paul a su se faire proche, juif avec les juifs, grec avec les grecs, pour que le message soit entendu et que les hommes puissent entrer « en communion avec le Fils de Dieu, Jésus-Christ, notre seigneur » (1 Co 1, 2-9). Quelle proximité de notre ministère ?

• Nous entendons le Père Chevrier dire : « Il faut donc bâtir sur Jésus-Christ, sur sa parole et la mettre en pratique, et notre maison sera bâtie sur le rocher » VD 103 « C’est lui qu’il faut chercher et poser comme fondement de tout » VD 103, Ms X 21

II – PAUL : UN MINISTÈRE PASTORAL D’ACCOMPAGNEMENT ET D’ÉDIFICATION

II.1 – Paul lorsqu’il fonde une communauté, il ne l’abandonne pas. Il dure avec elle, surtout si la situation est délicate. Elle est précaire chez les Corinthiens. La petite communauté est constituée de gens pauvres, traversée par des divisions internes (1,10-12 et 3,3-4), troublée par l’inconduite et la débauche de certains de ses membres (5,1 sv, 6,9-10 et 18), par des problèmes avec les païens sur les viandes sacrifiées aux idoles (8 et 10), une contestation est portée sur le ministère (Co 9 et 2).

II.2 – C’est la raison de ses efforts apostoliques constants. Il envoie des lettres, 4 sans doute aux Corinthiens ; il en envoie une qui reste sans effet. Il envoie alors Timothée (1 Co 4,17) qui contribuera à mettre de l’ordre dans les problèmes, rappelant « les principes de vie en Christ » (1 Co4,17) et que « le royaume de Dieu ne consiste pas en paroles, mais en action » (1 Co 4,20). Lui-même, Paul, envoie cette première lettre canonique où il tente de répondre point par point pour remettre la communauté dans l’esprit de l’alliance. Il le fait avec assurance. Prenons un exemple, le cas d’inconduite : « Purifiez-vous du vieux levain, écrit-il, car le Christ notre Pâque a été immolé (1 Co 5,7). Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ, le temple du Saint Esprit ? (1 Co 6,15 et 19). Prenons celui de la relation avec les païens. Paul écrit : « Il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et vers qui nous allons, et un seul Seigneur, Jésus Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes. » (1 Co 8,6) et ajoute un repère pour celui qui a découvert la nouveauté de la foi : « grâce à ta connaissance, le faible périt, ce frère pour lequel le Christ est mort » (1 Co 8 ,11) ; « en blessant la conscience ce qui est faible, c’est contre le Christ que vous péchez » (1 Co 8,11). Prenons le cas de la prière en langues : A quoi sert de prier Dieu si la prière ne contribue pas à édifier les frères dans une action de grâce éclairée ou si elle scandalise celui qui n’est pas initié. « Que tout se passe de manière à édifier » dit Paul. (1 Co 14,26) et il ajoute : « Dieu n’est pas un Dieu de désordre mais de paix » (1 Co 14,33).

II.3 – A travers ces exemples nous percevons comment Paul travaille à remettre les Corinthiens dans une route de disciple. Il ne fait pas, d’abord la morale. Il recentre sur le dessein de Dieu, sur le mystère du Christ, et sur le sens du frère pauvre qu’il faut respecter ; sur ces points, il se montre insistant dans le chapitre 10 (14-31) montrant la nouveauté du repas pascal, la liberté des enfants de Dieu et en même temps le nécessaire respect d’autrui : « « Tout est permis » ; mais tout n’est pas profitable. « Tout est permis » ; mais tout n’édifie pas. Que personne ne cherche son propre intérêt, mais celui d’autrui » (1 Co 10,23-24). 2.4 – Tous ces efforts visent à communiquer la vie du Christ. Tite est encore envoyé à Corinthe, mais la situation n’a guère changé. Paul alors décide de partir pour Corinthe (2 Co 13,2), mais c’est l’affrontement. Il repart brusquement. C’est dans cette lettre, la deuxième canonique, rédigée « dans les larmes » qu’il s’explique, exposant son ministère auprès d’eux. Il envoie à nouveau Tite (2 Co 2,13). La mission sera bonne (2 Co 7,13). Nouvelle lettre, et nouvelle visite de Paul. Il veut absolument que la communauté puisse être édifiée en Christ. « C’est devant Dieu en Christ que nous parlons. Et tout cela bien aimés, pour votre édification » (2 Co 12,29). Lui-même a pris soin de travailler de ses mains pour ne mettre aucun obstacle à l’accueil de la Parole de Dieu. Il n’a été à charge de personne (2 Co 9) et n’use pas de son droit d’apôtre : c’est un ministère de gratuité qu’il veut offrir : « Oui, malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! Si j’avais l’initiative de cette tâche, j’aurais droit à une récompense ; si je ne l’ai pas, c’est une charge qui m’est confiée. Quelle est donc ma récompense ? C’est qu’en annonçant l’Évangile, j’offre gratuitement l’Évangile, sans user du droit que me confère l’Évangile ». C’est d’un engendrement douloureux qu’il s’agit par fidélité au dessein de Dieu et par amour de la communauté ; et tout cela dans la peine : « Labeur et fatigue, veilles fréquentes, faim et soif, jeûnes répétés, froid et nudité ! Et sans parler du reste, mon obsession quotidienne, le souci de toutes les Églises ! Qui est faible, que je ne sois faible ? Qui vient à tomber, qu’un feu ne me brûle ? » (2 Co 11,27-29). Et cet engendrement est un acte du Christ ressuscité agissant « en la personne » de Paul : « Puisque vous cherchez une preuve que le Christ parle en moi, lui qui n’est pas faible à votre égard, mais qui est puissant parmi vous. Certes, il a été crucifié en raison de sa faiblesse, mais il est vivant par la puissance de Dieu. Et nous aussi, nous sommes faibles en lui, bien sûr, mais nous vivrons avec lui, par la puissance de Dieu à votre égard » (2 Co 13). Cet engendrement consiste, à travers sa vie compatissante, à faire advenir des hommes semblables au Christ, des personnes christiques : « Auriez-vous en effet des milliers de pédagogues dans le Christ, que vous n’avez pas plusieurs pères ; car c’est moi qui, par l’Évangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus. Je vous en prie donc, montrez-vous mes imitateurs » (1 Co 4,15). 2.5 – Nous entrons alors dans ce regard contemplatif de Paul, rempli de foi en l’action de l’Esprit au sein même de ses efforts : « notre lettre c’est vous, lettre écrite dans nos cœurs, connue et lue par tous les hommes. De toute évidence vous êtes une lettre du Christ confiée à notre ministère, écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » Et il ajoute « ce n’est pas à cause d’une capacité personnelle que nous pourrions mettre à notre compte, c’est de Dieu que vient notre capacité ». Contemplatif et collaborateur de l’Esprit ! Tel est le lien de Paul à la communauté. Ce même attachement à la communauté, née dans l’Esprit, nous l’avons trouvé dès le début apostolique de Paul. Lynché à Iconium, il y revient quelque temps après pour fortifier la communauté naissante : « Après avoir annoncé la Bonne Nouvelle dans cette ville et y avoir fait d’assez nombreux disciples, ils repassèrent par Lystre, Iconium et Antioche. Ils y affermissaient le cœur des disciples et les engageaient à persévérer dans la foi : « Il nous faut, disaient-ils, passer par beaucoup de détresses, pour entrer dans le Royaume de Dieu. Dans chaque Église ils leur désignèrent des anciens, firent des prières accompagnées de jeûne et les confièrent au Seigneur en qui ils avaient mis leur foi » (Ac 14). Lorsque Paul passe par Milet, Il raconte combien il n’a pas ménagé sa peine pour « instruire juif et grecs, en public » et en privé du mystère de Dieu, afin, par son témoignage de « se convertir à lui et croire en notre Seigneur Jésus » (Ac 14, 21). Et il ajoute encore « Je peux donc l’attester aujourd’hui devant vous : je suis pur du sang de tous. Je n’ai vraiment rien négligé : au contraire, c’est le plan de Dieu tout entier que je vous ai annoncé » (Ac 20). Corinthe, Iconium, Milet : des rendez-vous où nous comprenons la sollicitude de Paul pour toutes les Eglises, pour ceux et celles qu’il engendre à la foi, « le sceau de mon apostolat » (1 Co 9, 2). Comme un berger il prend soin du Troupeau, le recentre sur le vrai Berger et sur les frères et en particulier les plus pauvres. Il peine pour le troupeau qui lui a été confié.

• Nous pouvons nous interroger : quel amour portons-nous aux communautés qui nous sont confiées et auxquelles nous sommes donnés ? Qu’est-ce qui nous fait tenir dans la peine ?

• Quel ministère de conduite de la communauté, au nom du Christ ressuscité, vivons-nous ? (Édification, accompagnement, remise sur la route de l’Évangile selon quelle manière de « reprendre » selon l’expression du Père Chevrier)

• « Engendrer dans le Christ » : quelle résonance dans notre ministère ?

• A quelle redécouverte du ministère du Père Chevrier sommes-nous conduits ?

III – PAUL : UN MINISTÈRE DE FORMATEUR DE RESPONSABLE DE COMMUNAUTÉ

III.1 – Paul a le sens de la durée ; il appelle des responsables qu’il confie au Seigneur. Nous le voyons lors de son ministère en Asie. « Dans chaque Église, Paul et Barnabé désignèrent des anciens, firent des prières accompagnées de jeune et les confièrent au Seigneur, en qui ils avaient mis leur foi » (14,23). Paul désigne des anciens en qui il discerne la foi et qui sont remplis de l’Esprit Saint ; il les trempe dans la foi par la prière et le jeûne, pour les confier au Seigneur, dans un lien d’appartenance. Paul alors peut partir d’Iconium en sachant que c’est le Seigneur qui sera leur appui, comme il partira de Milet en remettant les responsables « à Dieu et à sa parole de Grâce qui a la puissance de bâtir l’édifice et d’assurer l’héritage à tous les sanctifiés » (Ac 20,32).

III.2 – Mais, en remettant ces responsables à Dieu et à son dessein de salut envers l’humanité, Paul les engage, selon Paul, à être des veilleurs eux-mêmes sur deux points. D’abord il les engage à veiller sur eux-mêmes en prenant soin de la grâce de Dieu qui leur a été faite et du dépôt de l’Évangile qui leur a été confié. « Veillez sur vous-mêmes », c’est-à-dire veillez sur ce que vous êtes devenus par grâce et par appel Ensuite il les engage à veiller sur tout le troupeau, à « prendre soin de tout le troupeau dont l’Esprit Saint vous a établis gardiens » (Ac 2,28). N’est-ce pas, leur dit-il, l’Église de Dieu tout entière qu’il s’agit de nourrir selon le dessein de sa grâce, cette Eglise qu’il s’est acquise par son propre sang ? » Il forme des apôtres de Dieu qui soient des contemplatifs de sa communauté : elle porte la marque de Dieu, dans le sang du Christ. Dieu y a fait son œuvre ; elle appartient à Dieu.

III.3 – Par là il ouvre les responsables à la grandeur de ce service, celui de nourrir un tel peuple sauvé et sanctifié par le sang du Christ. Le ministère de Paul, « marqué du sceau de l’Esprit » apparaît comme celui d’un témoin consacré à ce peuple sauvé par le sang du Christ et qui appelle des responsables à l’imiter : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ » (1 Co 11,1), lui, Paul, portant en sa chair les marques de la passion du Seigneur Jésus : « Je porte dans mon corps les marques de Jésus » (Ga 6,17). A nous alors se pose la question :

• Comment formons-nous des responsables de communauté à la manière de Paul, dans un agir qui consiste à discerner, tremper dans la prière, dans l’ascèse, dans la conscience d’appartenir à Dieu, dans la conscience du mystère de l’Église, dans la grandeur du service d’un tel mystère ?

IV – PAUL : UN MINISTÈRE PARTAGÉ AVEC DES COLLABORATEURS

Sans doute le tempérament de Paul ne fut-il pas de tout repos pour ses collaborateurs. Mais son ministère s’exerçait souvent avec des collaborateurs dont il parle avec affection. Évoquons Tite « mon frère » (2 Co 2,13), « mon compagnon et mon collaborateur » (2 Co 8,23) ; « grâce soit à Dieu qui a mis au cœur de Tite le même zèle pour vous » (2 Co 8,16) ; « n’avons-nous pas marché dans le même esprit » (2 Co 12,18). Timothée est qualifié « d’enfant chéri et fidèle dans le Seigneur ; il vous rappellera mes principes de vie en Christ » (1 Co 4,17). Et puis il y a Silas (Ac 18,5) et cet autre frère (non identifié) dont « les Églises chantent la louange au sujet de l’Évangile » (2 Co 8,18), celui « dont nous avons souvent, dans bien des cas, éprouvé le zèle » (2 Co 8,22) ; (2 Co 12,18). Dans beaucoup de villes Paul aime s’associer des collaborateurs venus au Christ. Ce sont pour lui des témoins d’Évangile, des relais dans l’action apostolique. A Corinthe, nous rencontrons un bon nombre de personnes : Priscille et Aquila (Ac 18,2 et 18 et 16,19), Titius Justus (Ac 18,7) Crispus (Ac 18,8), Sosthène (Ac 18,17 et 1 Co 1,1), les gens de Chloé (1 Co 1,11), Appolos (1 Co 16,12), Stéphanas et sa famille (1 Co 16,15) ; Fortunatus et Archaïcus (1 Co 16,17). Ce ministère partagé est ministère d’équipe. Chacun occupe, à partir de sa situation, une place dans la mission. Ainsi l’Evangile est répandu de relais en relais d’Évangile.

• Beaucoup de nos champs apostoliques dans le monde des pauvres sont semblables à celui de Corinthe. L’Evangile a de la peine à toucher les cœurs, les mentalités, les structures de la société. Quels collaborateurs, pour porter l’Évangile au plus près de la vie des gens, cherchons-nous et comment les cherchons-nous ?

• Comment les formons-nous ? Comment travaillons-nous avec eux dans l’affection fraternelle ? (Notamment dans les pays où il y a des Équipes d’Animation Pastorale)

V – PAUL : UN MINISTÈRE DE COMMUNION AU CHRIST, LE SERVITEUR DU DESSEIN DU PÈRE

Paul a une conscience extrême d’être, avec ses compagnons, « des serviteurs du Christ et des intendants des mystères de Dieu. » (1 Co 4, 1). En rien il ne « cherche sa gloire et n’attache du prix à sa vie » (Ac 20). C’est un homme, selon l’expression du Père Chevrier, qui « veut être, comme son maître », faisant l’œuvre du Père.

V.1 – C’est pourquoi nous voyons Paul sortir comme un envoyé en mission : « Il y avait à Antioche, dans l’Église du lieu, des prophètes et des hommes chargés de l’enseignement : Barnabas, Syméon appelé Niger et Lucius de Cyrène, Manaen compagnon d’enfance d’Hérode le tétrarque, et Saul. Un jour qu’ils célébraient le culte du Seigneur et jeûnaient, l’Esprit Saint dit : « Réservez-moi donc Barnabas et Saul pour l’œuvre à laquelle je les destine. Alors, après avoir jeûné et prié, et leur avoir imposé les mains, ils leur donnèrent congé » (Ac 13). Au début de la lettre aux Corinthiens, Paul révèle lui-même sa conscience apostolique : « Paul appelé à être apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu » (1 Co 1,1) (également Rm 1,1 : « Paul, serviteur du Christ Jésus, apôtre par vocation, mis à part pour annoncer l’Évangile de Dieu ».

V.2 – Nous le voyons encore obéir dans les événements à l’Esprit. En Pisidie, quand les juifs le rejettent, il se tourne vers les païens : « Paul et Barnabas eurent alors la hardiesse de déclarer : “C’est à vous d’abord que devait être adressée la parole de Dieu ! Puisque vous la repoussez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, alors nous nous tournons vers les païens” » (Ac 13). Dans le conflit qui l’amène à être jugé par l’empereur, il voit « l’occasion » (Rm 1,10) qui lui est donnée de porter l’Évangile à Rome. Il se laisse mener par l’Esprit.

V.3 – Jusque dans les souffrances apostoliques il veut être comme son maître. « En ce moment, lisons-nous dans la lettre aux Colossiens, je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Église » (Col 1). C’est ainsi qu’il est en conformité et en familiarité avec le langage de la croix. « Le langage de la croix, en effet est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, il est sagesse de Dieu » (1 Co 1,18). Paul prêche alors avec assurance sans crainte « un messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant juifs que grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu ».

V.4 – Il prêche en ayant confiance que le crucifié ressuscité trouve accueil chez les pauvres. Ils sont les « appelés », les « choisis » de Dieu : « Considérez, frères, qui vous êtes, vous qui avez reçu l’appel de Dieu : il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonne famille. Mais ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; Ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort » (1 Co 1,26).

V.5 – Et lui-même, Paul sait bien que ses faiblesses ne sont pas des obstacles dans l’apostolat mais une chance pour une manifestation claire de la puissance de Dieu : « Il m’a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter pour que je ne m’enorgueillisse pas ! A ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur pour qu’il s’éloigne de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse. » C’est donc de grand cœur que je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ. C’est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les détresses, dans les persécutions et les angoisses endurées pour le Christ ; car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12). Le trésor qu’il porte et qu’il est chargé de faire connaître est porté dans la fragilité qui laisse place à l’agir de Dieu « Ce trésor, nous le portons en des vases d’agile, pour que cette incomparable puissance soit de Dieu et non de nous » (2 Co 4,7). Le ministère de Paul est communion totale avec le Christ jusqu’en son abaissement, car il sait qu’il participe à la puissance du ressuscité. Il « sait en qui il a mis sa foi ». Seul cela compte pour Paul. « La puissance du Christ se déploie dans la faiblesse ». Ainsi le ministère de Paul est-il un ministère de puissance et de gloire puisqu’il est ajusté au Christ pauvre, abaissé jusqu’à mourir sur une croix, glorifié par le Père.

• En quoi le ministère que je vis me met en communion avec le Christ pauvre et humilié ? • Dans le monde où je vis à quelle audace et obéissance à l’Esprit, suis-je conduit pour vivre et dire la foi de Paul?

• Quelle rupture avec la culture ambiante ?

• En quoi mes faiblesses sont-elles associées et participantes à l’action du Ressuscité ?

VI – PAUL, UN « MINISTÈRE DE L’ESPRIT »

VI.1 – Paul considère son ministère « comme un ministère de l’Esprit », « établi selon l’Esprit Saint » (Ro 1,4). C’est lui, le Christ qui nous rendus capables d’être ministres d’une Alliance Nouvelle, non de la lettre, mais de l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3,6). Paul « illuminé par la gloire du Christ, transfiguré en cette même image avec une gloire toujours plus grande, par le Seigneur » vit un ministère de liberté, ajusté, par un « amen » total, au dessein de Dieu qui veut donner la vie au monde.

VI.2 – Ce ministère devient un ministère d’illumination. Il consiste d’abord à rechercher la proximité des hommes et leur confiance, avec l’esprit du serviteur : « Non, ce n’est pas nous-mêmes, mais Jésus Christ Seigneur que nous proclamons. Quant à nous-mêmes, nous nous proclamons vos serviteurs à cause de Jésus » (2 Co 4,5), et dans la vérité à l’égard de la Parole de Dieu à transmettre dans sa totalité : « Nous ne sommes pas en effet comme tant d’autres qui trafiquent de la parole de Dieu ; c’est avec sincérité, c’est de la part de Dieu, à la face de Dieu, dans le Christ, que nous parlons. » (2 Co 2). Cette Parole mise en proximité vise à initier les hommes à « l’illumination de l’Évangile de la gloire du Christ, lui qui est l’image de Dieu » (2 Co 4,4). Elle vise à conduire à l’obéissance de la foi, à la gloire.

VI.3 – Ce ministère est celui de l’ouverture permanente à l’Esprit. Il est celui du guetteur, toujours aux aguets de ce que l’Esprit réalise dans le cœur des gens. Voyant ce que l’Esprit fait chez les païens, Paul décide de se rendre à Jérusalem pour parler en liberté et vérité. Ne s’agit-il pas toujours de « marcher sous l’impulsion de l’Esprit » (Ga 5,16) et de lui obéir. Le ministère de Paul est un ministère d’obéissance et par là-même d’audace, non de répétition, en continuelle sortie vers le dessein du Père à l’œuvre dans l’humanité ; ce ministère a pour but d’actualiser la Nouvelle Alliance réalisée dans le mystère pascal. Nous pouvons nous demander : quelles lumières avons-nous reçues du Christ ? En quoi sont-elles une puissance conduisant à une nécessaire audace, pour vivre un ministère d’illumination ?

VII – PAUL, UN MINISTÈRE DANS LA PRIÈRE

VII.1 – Paul est un homme de prière. Il prie à la synagogue, sur le bord de la rivière (Ac 16, 13) en prison (Ac 16, 25), sur le bateau. Il prie en toute circonstance, rendant grâce à Dieu pour ce qu’il lui voit accomplir.

VII.2 – Il n’hésite pas à demander la prière de la communauté pour lui et la mission : « Priez pour nous en particulier, afin que Dieu ouvre un champ libre à notre prédication et que nous puissions annoncer le mystère du Christ ; c’est à cause de lui que je suis dans les fers ; obtenez-moi de le publier en parlant comme je le dois » (1 Co 4).

VII.3 – Il sait que c’est l’Esprit qui prie en lui et en tout disciple « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! » (Ga 4,6). Et le travail de l’Esprit en prière est d’ajuster les saints au dessein du Père : « L’Esprit vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables, et Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l’Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu. Et nous savons qu’avec ceux qui l’aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien, avec ceux qu’il a appelés selon son dessein » (Ro 8,26).

VII.4 – Par l’Esprit, Paul est en communion avec le Christ son maître, et c’est là sa force ; Ainsi il demeure en « esprit de prière » selon expression du Père Chevrier. Un jour, il peut dire « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi », perfection de l’union au Christ priant en lui le Père, faisant l’œuvre du Père. À la fin de ses lettres, il souhaite que cette communion au Christ et mystère trinitaire habite le cœur des disciples du Christ : « La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint Esprit soient avec vous tous ! » (2 Co 13). Tel est donc cet homme accordé à Dieu et à son dessein de salut, accordé au Christ dans la puissance de l’Esprit.

CONCLUSION

Le ministère de Paul est loin d’être celui d’un fonctionnaire. Il est celui d’un homme qui se dit « serviteur de Jésus-Christ, appelé à être apôtre, mis à part pour annoncer l’Evangile de Dieu » (Ro 1,1). Toute sa vie est impliquée dans ce ministère pour dévoiler le Ressuscité présent dans le monde, espérance de la gloire. Il est consacré pour l’Evangile. C’est la puissance de son apostolat. « Je suis devenu ministre de l’Église, en vertu de la charge que Dieu m’a confiée, de réaliser chez vous l’avènement de la Parole de Dieu, ce mystère resté caché depuis les siècles et les générations et qui maintenant vient d’être manifesté à ses saints : Dieu a bien voulu leur faire connaître de quelle gloire est riche ce mystère chez les païens : c’est le Christ parmi vous ! L’espérance de la gloire ! Ce Christ, nous l’annonçons, avertissant tout homme et instruisant tout homme en toute sagesse, afin de rendre tout homme parfait dans le Christ. Et c’est bien pour cette cause que je me fatigue à lutter, avec son énergie qui agit en moi avec puissance » (Col 1,25-29). A l’école de Paul, il est difficile de penser que le ministère puisse être à temps partiel. Engagé totalement au service de l’humanité,

• Il prend les routes des hommes ; se rend là où les gens se réunissent ;

• Il regarde écoute, voit, comprend, s’ajuste, se démarque, en fidélité à la Parole ;

• Il annonce le Christ dans sa totalité, « en public comme en privé » avec l’un ou l’autre ;

• Il cherche les cœurs où résonne la Parole pour les éveiller à la loi de liberté, de communion avec le Christ. Il les forme, comme un père, un berger et les soutient ;

• Il en appelle quelques-uns pour conduire le troupeau, pour édifier une communauté et la former. Tout cela, le Père Chevrier a voulu nous le transmettre pour que notre ministère soit aussi un ministère de l’Esprit, un ministère de puissance dans la croix du Seigneur.

Gilles Gracineau, prêtre du Prado – diocèse de Limoges


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