Vous trouverez dans ce texte une longue étude de l’Evangile qui nous encourage à enrichir notre connaissance du mystère de Dieu. A partir de Saint Jean, nous est proposée une méditation sur la manière dont Jésus Christ est conduit par l’Esprit Saint. Jésus est l’Envoyé du Père. Il travaille à son œuvre pour le salut des gens. L’Esprit est au cœur de la communion du Fils et du Père et de leur agir pour donner la vie aux hommes. Il faut d’abord préciser le caractère de la réflexion qui suit. Elle est le fruit d’une étude d’Evangile que j’ai faite pour me préparer à cette session. Je vivais une période de changement de ministère. Submergé par beaucoup de choses, je voulais étudier où Jésus trouvait la force de rendre efficace son action, son ministère. Pour cette étude, j’ai choisi l’Evangile de Jean. Ceci explique le caractère et la limite de cet exposé. Il faut savoir que dans l’Evangile de Jean, on ne trouve pas beaucoup d’allusions à l’Esprit. Jean parle de l’Esprit qui est promis et donné par le Ressuscité, mais il n’y a qu’une allusion explicite à l’Esprit qui guide la vie et l’action de Jésus : c’est le témoignage de Jean Baptiste qui dit : « J’ai vu l’Esprit tel une colombe descendre du ciel et demeurer sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’avait dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Oui, j’ai vu et j’atteste que c’est lui, l’Elu de Dieu » (Jn 1,32-34). Il s’agit de la profession de foi du Baptiste. L’Esprit « descend » sur Jésus et « reste » sur lui, fait de lui sa demeure et le « Fils de Dieu ». L’Esprit qui descend sur Jésus n’est pas appelé « saint » parce que, à la différence des hommes, Jésus n’a pas besoin d’être sanctifié. Mais il est la force qui guide et façonne sa mission, celle de donner le Saint Esprit aux hommes, l’Esprit sanctificateur. L’Esprit, c’est le secret le plus profond de sa vie et de sa mission. Jean nous aide à comprendre le ministère de Jésus avec d’autres mots, d’autres catégories. Il parle de Jésus comme l’envoyé du Père, auquel le Père donne ses œuvres, en lui donnant aussi la force pour les accomplir.
J’ai choisi alors de faire un résumé de mon étude d’Evangile sur ces points :
- Jésus, l’envoyé du Père : l’économie du don
- Le Père donne à Jésus ses œuvres
- Le Père donne à Jésus d’accomplir les œuvres qu’il lui donne. Tout tourne autour du verbe « donner » et du mot « œuvre », qui seront aussi le centre de notre réflexion.
- JESUS L’ENVOYE DU PERE : L’ECONOMIE DU DON
- Jésus l’envoyé du Père : l’identité de Jésus ; Jésus n’est pas venu dans le monde sur son initiative : c’est le Père qui l’a envoyé. « Oui, vous me connaissez et vous savez d’où je suis. Cependant, je ne suis pas venu de moimême, mais il m’a envoyé vraiment celui qui m’a envoyé. Vous, vous ne le connaissez pas. Moi, je le connais, parce que je viens de lui et que c’est lui qui m’a envoyé » (Jn 7,28). « C’est de Dieu que je suis issu et que je viens ; je ne suis pas venu de moi-même, c’est lui qui m’a envoyé » (8,42). Dans l’Evangile de Jean, le verbe « envoyer » est très important. Dans les deux formes grecques (πεμψω et αποστελλω) il y recourt 39 fois et désigne l’identité profonde de Jésus : il est totalement tourné vers le Père, celui qui l’a envoyé.
- Jésus, l’apprenti du Père Cette identité profonde de Jésus fait de lui un homme entièrement tourné vers le Père, qui le regarde pour apprendre de lui. Il y a un passage très illuminant à cet égard : « En vérité, en vérité je vous le dis, le Fils ne peut faire de lui-même rien qu’il ne voie faire au Père : ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement. Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait » (5,19). Le Père est présenté comme quelqu’un qui est au travail (« mon Père travaille toujours et moi aussi je travaille »), et Jésus le regarde, le contemple pendant qu’il travaille. Et le Père ne cache pas ce qu’il fait avec jalousie, mais il le montre au Fils qui, en regardant le Père qui travaille, apprend à son tour à agir. Cette pensée est soulignée une autre fois, quand Jésus dit : « Celui qui m’a envoyé est véridique et ce que j’ai appris de lui je le dis dans le monde… Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que Je suis et que je ne fais rien de moi-même ; ce que le Père m’a enseigné, je le dis …» (8,25- 30).
- Le Père envoie le Fils pour le donner aux hommes Si le verbe « envoyer » nous dit l’identité la plus profonde de Jésus, il ne nous dit rien sur ce qui est à l’origine de cette mission, sur les intentions de celui qui l’envoie. Quand Jean veut nous éclairer sur le sens de cette mission, il emploie le verbe « donner » (διδομι). Le Père donne Jésus aux hommes : la mission du Fils, c’est la manifestation de l’amour du Père pour les hommes. « Oui, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (3,16-17). Le Père donne Jésus afin qu’il soit nourriture : «…C’est mon Père qui vous le donne, le pain du ciel, le vrai » (6,32). La foi qui sauve est don du Père : « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (6,44). Et le Père couronnera l’œuvre de Jésus en envoyant le Paraclet (14,16) et donnera aussi aux disciples ce qu’ils demanderont dans la prière faite au nom de Jésus (15,16 ; 16,23). Le Père envoie son Fils et le donne aux hommes pour les remplir de ses dons.
- Le Père envoie son Fils pour le remplir de ses dons Si le don c’est l’attitude du Père à l’égard des hommes, c’est aussi l’attitude du Père à l’égard de Jésus. Le Père a tout mis dans ses mains (13,3). Il lui a donné ses paroles : «…les paroles que tu m’as données, je les leur ai données…» (17,8 ; cf. 12,49 ; 3,34 ; 7,16 ; 8,26 ; 12,50 ; 14,24 ; 17,14) ; les œuvres à accomplir : «…les œuvres que le Père m’a donné d’accomplir…» (5,36 ; cf. 17,4 ; 4,34 ; 9,3 ; 10,32 ; 10,37) ; lui donne tout ce qu’il lui demande (11,22 ; cf. 11,42). « Il a donné au Fils de disposer de la vie » (5,26) ; et aussi de la donner (5,21 ; 17,2- 3). Il lui donne les disciples (17,6.9 ; cf. 10,29 ; 6,37-39 ; 17,2) ; « le pouvoir sur toute chair » (17,2) ; le jugement (5,27) ; la gloire (17,22-24) ; son nom (17,11-12). Et cela parce que « le Père aime son Fils ; il a tout remis en sa main » (3,35). Le Père envoie son Fils et lui confie avec amour une mission (5,10), une mission qui le conduira à une très grande glorification : « Père, glorifie ton Fils… glorifie-moi de la gloire que j’avais près de toi avant que fût le monde » (17,1.5).
- Le Fils : don de soi au Père pour le salut du monde Si le Père se donne totalement au Fils, lui confie sa mission, celle-ci est pour le Fils le lieu d’une immense glorification, dans laquelle le Père comble son Fils de ses dons sans mesure (« Celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, qui lui donne l’Esprit sans mesure ») ( 3,34), de la même manière le Fils répond au Père en se donnant à lui sans limite aucune. Il ne cherche pas sa propre gloire (7,18), ni celle qui vient des hommes (5,41), mais seulement la gloire du Père : « Père, glorifie ton Fils, pour que ton Fils te glorifie » (17,1) ; « Je t’ai glorifié sur la terre ; j’ai achevé l’œuvre que tu m’avais donné à faire » (17,4). Gloire du Père qui consiste à donner aux hommes la vie éternelle : « Je leur donne la vie éternelle » (10,28) ; « …par le pouvoir sur toute chair que tu lui as conféré, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés » (17,2). C’est pour cela qu’il donne aux hommes la parole du Père (17,8.14) ; le commandement nouveau (13,34) qui les comblera de joie (13,15-17). Il sait que cela lui demandera de donner l’eau qui surgit pour la vie éternelle (4,10-14) ; de donner sa propre chair comme nourriture qui reste pour la vie éternelle (6,27), même si, pour cela, on lui demande de donner sa propre vie. (6,51). L’amour pour les hommes le conduira jusqu’au fond : « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin » (13,1). Don sans réserve aux hommes qui surgit d’un total dévouement au Père : « J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi et tu me les as donnés et ils ont gardé ta parole. Maintenant ils savent que tout ce que tu m’as donné vient de toi » (17,6-7).
- Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi Nous pouvons alors comprendre un premier aspect de l’œuvre de l’Esprit dans la vie de Jésus : le Père donne tout au Fils et celui-ci lui répond en se donnant entièrement pour le salut et la vie du monde. L’Esprit opère le «vidage» dont parle Paul dans la Lettre aux Philippiens : « Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! » (Ph 2, 6-11).
Une œuvre, celle de l’Esprit, qui comblera Jésus d’une gloire immense et qui portera au monde la vie et le salut. C’est le chemin d’un amour chaste, d’une vie vécue dans la chasteté, avec un « cœur pur » (Mt 5,8), un cœur unifié.
- LE FILS FAIT CE QUE LE PERE LUI FAIT CONNAITRE : LE CHEMIN DE L’OBEISSANCE
L’Evangile de Jean nous conduit à faire une deuxième démarche : le Père ne donne pas seulement le Fils aux hommes pour les combler de ses dons, mais il donne aussi au Fils ses œuvres. C’est une expression paradoxale : l’œuvre, c’est quelque chose de personnel, qui appartient à celui qui l’accomplit ; comment quelqu’un peut-il donner ses œuvres à un autre ? Pourtant Jean nous dit que le Père donne ses œuvres au Fils.
- Le Père donne ses œuvres à Jésus – Jésus, l’envoyé du Père, vit dans la conviction de ne donner rien qui est à soi. Ce qu’il a et ce qu’il donne c’est seulement ce qu’il a reçu du Père. Aux Juifs qui l’accusent de blasphémer il répond : « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ; mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres… » (10,37-38). De même il affirme : « Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé » (7,16) ; et encore : « Je ne parle pas de moi-même, mais le Père qui m’a envoyé m’a lui-même prescrit ce que je devais dire et faire entendre » (12,49). Aux disciples qui l’invitent avec insistance à manger après la rencontre avec la femme de Samarie, il répond : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre » (4,34). Nourriture qui alimente sa vie, don qu’il accueille avec gratitude, sens de sa venue parmi les hommes, parce que « … je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé » (6,38). Il est sûr que dans la parole du Père il y a sa vie : « …je sais que son ordre est vie éternelle » (12,50). Sa fidélité est la condition pour vivre en communion avec le Père : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour » (15,10). Pour Jésus, il n’y a pas de don plus grand que celui-là.
- Jésus accomplit l’œuvre du Père dans une totale confiance Le fait de tout recevoir du Père ne fait pas de Jésus un exécutant passif. Le Fils accueille la volonté du Père comme un don qui le rend capable de prendre part à sa volonté. Il peut dire de lui-même : « …je fais toujours ce qui lui plaît » (8,29). Et le Père fait confiance au Fils : « Le Père aime le Fils ; il a tout remis en sa main » (3,35). « Le Père ne juge personne : tout le jugement il l’a remis au Fils afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père » (5,22). « Le Fils donne la vie à qui il veut » (5,21). La charge que le Père confie au Fils est le chemin de la vraie liberté : « Je vous dis cela, pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (15,11).
- La Passion – Résurrection : la plus grande œuvre que le Père confie au Fils Si la vie entière de Jésus a été vécue dans un total dévouement à l’œuvre du Père, ce dévouement se manifeste pleinement dans la Passion qui conduit à la Résurrection. En parlant de sa Passion, Jésus dit que c’est l’ordre du Père : « tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père » (10,18), un ordre qui consiste à donner sa propre vie, dans un chemin qui conduit à une vie pleine : « Si le Père m’aime, c’est que je donne ma vie, pour la reprendre » (10,17). A ce sujet, nous pouvons noter que Jésus n’est pas passif, mais qu’il vit en protagoniste. Dans la solennelle introduction à la Passion, Jean nous présente Jésus qui s’achemine vers le don de soi dans une conscience de la mission reçue et une liberté des plus totales : « sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père… que le Père avait tout remis en ses mains… » (13,1-3). Alors nous pouvons voir Jésus qui prend l’initiative : c’est lui qui se « sanctifie » (17,9) ; qui va au Père (13,1) ; qui laisse le monde et va à son Père (16,28). C’est lui qui « donne sa vie » (10,11.15.17.18 ; 15,13) ; personne ne la lui ôte : « On ne me l’ôte pas ; je la donne de moi-même. J’ai pouvoir de la donner et pouvoir de la reprendre » (10,18). C’est lui encore qui invite Judas à faire ce pour quoi il était venu (13,27) ; qui se présente à ceux qui sont venus pour l’arrêter (18,4.8). Une attitude qu’il maintiendra jusqu’à la croix, accomplissement de sa décision : « Puis, sachant que tout était achevé désormais, Jésus dit, pour que toute l’Ecriture s’accomplît : ‘J’ai soif’ » (19,28). Son seul désir est de se conformer à la volonté du Père, de « faire toujours ce qui lui plaît » (8,29). Il veut que « le monde sache que j’aime le Père et que j’agis comme le Père me l’a ordonné » (14,31). Aussi, quand il affirme que ses paroles s’accomplissent, il le fait dans une totale fidélité au Père : « Ceux que tu m’as donnés, je n’en ai pas perdu un seul » (18,9 ; 17,12). Parce que c’est la volonté du Père : « que je ne perde rien de ce qu’il m’a donné » (6,39). 2.4 Le chemin de l’obéissance : le chemin du Fils Nous pouvons alors comprendre un deuxième aspect que Jean nous présente : Jésus a accompli sa mission d’envoyé du Père dans une totale obéissance au Père. Il peut dire de lui-même : « Je t’ai glorifié sur la terre ; j’ai achevé l’œuvre que tu m’avais donnée à faire » (17,4). Pour lui, « faire la volonté du Père » et « accomplir son œuvre » sont la nourriture (4, 31-34) qui le fait vivre. Le renoncement à soi-même est pour lui se faire « obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix » (Ph 2,7-8). La Lettre aux Hébreux a un passage très lumineux à cet égard : « C’est lui qui, aux jours de sa chair, ayant présenté, avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, et ayant été exaucé en raison de sa piété, tout Fils qu’il était, apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance ; après avoir été rendu parfait, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel … » (He 5, 7- 9). Et encore : « …En entrant dans le monde le Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation… Alors j’ai dit : Voici, je viens… pour faire ta volonté… Et c’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l’oblation du corps de Jésus Christ, une fois pour toutes » (He 10, 5-10). L’obéissance du Fils est un chef-d’œuvre de l’Eprit, qui « par un esprit éternel s’est offert lui-même sans tache à Dieu… pour que nous rendions un culte au Dieu vivant » (He 9, 14).
- « LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME » : LE CHEMIN DE LA PAUVRETE Nous avons déjà vu comment Jésus affirme plusieurs fois que les œuvres qu’il accomplit ne sont pas à lui, mais au Père, et qu’il les accueille comme le don qui le fait vivre. Mais l’Evangile de Jean nous conduit cependant à une autre démarche : le Père ne confie pas seulement au Fils ses œuvres, il lui « donne » aussi de les accomplir.
- En Jésus, le Père achève son œuvre Si, d’un côté, Jésus accueille avec un cœur plein de reconnaissance les œuvres que le Père lui confie, de l’autre il reconnaît que c’est le Père qui agit en lui pour le salut du monde. L’expression la plus hardie à cet égard, nous la trouvons quand Jésus dit : « Le Père qui demeure en moi accomplit les œuvres » (14,10). Ailleurs, il emploie l’expression « les œuvres de Dieu » (9,3), ou « les œuvres de celui qui m’a envoyé » (9,14), « les œuvres qui viennent du Père » (10,32), « les œuvres de mon Père » (10,37). Il ne s’agit pas seulement des œuvres qui sont au Père, mais des œuvres que le Père achève. La prière de Jésus devant le tombeau de Lazare, dans laquelle il reconnaît que ce qu’il fait est un don du Père : « Père, je te rends grâce de m’avoir exaucé. Je sais bien que tu m’exauces toujours… » est significative (1,41-42). Les gens aussi attribuent à Dieu la force guérisseuse qui habite Jésus. L’aveugle-né répond à ceux qui l’accusent : « Nous savons bien que Dieu n’exauce pas les pécheurs, mais que si un homme est religieux et accomplit sa volonté, celui-là il l’exauce » (9,31). Marthe aussi dit à Jésus : « … je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera » (11,22). Dans les œuvres de Jésus se manifeste l’amour et la tendresse du Père, qui prend soin de ses fils.
- Jésus fait les œuvres du Père Si Jésus appelle souvent ce qu’il fait « les œuvres du Père », il n’hésite pas à parler de sa participation à l’œuvre du Père. Il ne dit jamais « mes œuvres » ; ses frères, qui ne croient pas en lui, diront « les œuvres que tu fais » (7,3). Mais en parlant de ce qu’il fait Jésus dit : « Le Fils ne peut faire de lui-même rien qu’il ne voie faire au Père : ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement » (5, 19-20). C’est le Père qui agit et associe Jésus à son œuvre. C’est en ce sens, alors, que Jésus peut dire : « il me faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé » (9,4) ; « les œuvres que je fais au nom de mon Père » (10,25). Sa participation à l’œuvre du Père est le signe qu’il est envoyé par le Père : « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ; mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres… » (10,37-38).
- La Passion –Résurrection : l’œuvre du Père et du Fils En entrant dans sa Passion Jésus semble ne plus agir. Il ne fait plus rien, ne dit rien, n’agit pas. Il se laisse faire par les hommes : il est pris (18,12 ; 19,1.6.17) ; conduit (18,12 ;28) ; envoyé lié (18,24) ; livré (19,16) ; flagellé (19,1) ; crucifié (19,16.18.23) ; on lui enlève ses vêtements (19,23) ; on approche de sa bouche une éponge (19,29) ; on lui transperce la poitrine avec une lance (19,34) ; il est enseveli (19,38). En parlant de sa mort Jésus emploie toujours des verbes au passif : « être élevé » (3,14 ; 12,32) ; « être glorifié » (12,23 ; 13,1 ; cf. 7,39 ; 12,16 ; 17,1). Jean fait mémoire de la nuit où Judas est sorti du cénacle (13,30) et de la rencontre avec Nicodème (« c’est lui qui précédemment était allé de nuit trouver Jésus ») (19,39), qui encadrent tout le récit de la Passion. La nuit pendant laquelle on ne peut agir (9,4), pendant laquelle les ténèbres semblent avoir le dessus (11,9-10). La nuit pendant laquelle aussi le Père se tait, après ce que Jésus dit à Pierre au moment de son arrestation (« …la coupe que m’a donnée le Père, ne la boirai-je pas ? ») (18,11). Il ne nommera plus le Père jusqu’à la rencontre avec Marie de Magdala (20,17). La Passion, c’est le temps de l’impuissance de Jésus et du silence du Père. Mais dans la profondeur de sa faiblesse et du silence du Père, Jésus trouve la fécondité la plus grande. En mourant il « remit son esprit » (19,30) ; élevé de terre, il attire tous à lui (12,32) ; il devient le centre des regards des hommes (19,37). Les souffrances de sa mort sont comme les douleurs de l’enfantement (16,21), de la naissance de l’homme nouveau. Dans sa mort et résurrection, il acquiert la puissance même de Dieu : « le pouvoir sur toute chair », pouvoir qui lui permet de donner « la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés » (17,2). Pouvoir qu’il exerce surtout en envoyant du Père l’Esprit Saint, le Paraclet (15,26 ; 16,7). C’est dans sa mort qu’il devient « pain de vie » (6,52), et « source d’eau jaillissante en vie éternelle » (3,14). Avec sa mort toute Ecriture parvient à sa plénitude (19,28 ; 19,36), et Jésus, « ayant aimés les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin » (13,1), peut dire : « Tout est achevé » (19,30). La passion n’est plus le temps des œuvres, mais elle est sûrement le temps de « l’œuvre » du Père. Aux Juifs qui lui demandaient quelles œuvres il fallait faire pour être agréable à Dieu, Jésus ne dresse pas une liste des choses à faire, mais dit : « L’œuvre de Dieu c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé » (6,29). Les œuvres que Dieu recherche sont celles qui manifestent l’œuvre que Dieu accomplit dans le cœur de l’homme. Et cela vaut aussi pour le Fils. Si toutes ses œuvres sont la manifestation au monde de l’amour du Père, la Passion est son chef-d’œuvre, « l’œuvre », que le Père accomplit en son Fils pour le salut du monde. La Passion est la manifestation la plus grande de la communion qui unit le Père et le Fils : « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ; mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres et sachez une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père » (10,37-38 ; cf. 4,11). « Le Père et moi, nous sommes un » (10,30). Une communion dans laquelle le Fils veut introduire l’humanité et qui est le don par excellence qu’il nous laisse : « Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient parfaitement un comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi » (17,22). 3.4 La pauvreté du Fils, richesse du monde Nous sommes ainsi introduits dans le troisième aspect du mystère de la vie de Jésus : le Père ne confie pas seulement au Fils ses œuvres, mais il lui donne aussi la puissance pour faire ses œuvres. Nous comprenons alors le sens de ce que Jésus dit : « le Fils ne peut faire de lui-même rien » (5,19), il n’a pas la force pour le faire. Il reçoit sa force de son Père en se rendant totalement disponible à l’œuvre qu’il veut accomplir dans le monde et en faveur du monde. Le chemin de Jésus est celui d’une pauvreté qui ne connaît pas de limites et qui est la source de la fécondité de son ministère. C’est ce que Paul nous dit quand il écrit : « Vous connaissez la libéralité de notre Seigneur Jésus Christ, comment de riche il s’est fait pauvre pour vous, afin de vous enrichir par sa pauvreté » (2 Co 8,9). Chef-d’œuvre de l’Esprit qui est « descendu et resté » sur Jésus, chef-d’œuvre de l’Esprit dans le cœur de chaque homme dans l’histoire, selon les paroles de Jésus : « Il me glorifiera, car c’est de mon bien qu’il prendra pour vous en faire part. Tout ce qu’a le Père est à moi. Voilà pourquoi j’ai dit : C’est de mon bien qu’il prendra pour vous en faire part » (16,14-15).
- CONCLUSION
Nous avons fait un parcours dans l’Evangile de Jean à la recherche de la source de la fécondité du ministère de Jésus. Il s’agit d’une question importante, parce qu’il s’agit de comprendre le chemin à parcourir pour vivre nous aussi un ministère fécond. Nous proposons quelques points récapitulatifs pour conclure ce travail :
- Le Père est le protagoniste de la mission ƒ Le Père donne Jésus aux hommes. C’est le Père qui envoie Jésus parmi les hommes, qui prend l’initiative pour leur salut, et cette mission est caractérisée par le don : « Oui, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle » (3,16-17). « En vérité, en vérité, je vous le dis, ce n’est pas Moise qui vous a donné le pain du ciel ; c’est mon Père qui vous le donne, le pain du ciel, le vrai ; car le pain de Dieu c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde » (6,32-33). ƒ Le Père donne les hommes à Jésus L’initiative du Père ne s’épuise pas en donnant Jésus aux hommes, mais il veut donner aussi les hommes à Jésus. « Mais je vous le dis : vous me voyez et vous ne croyez pas. Tout ce que me donne le Père viendra à moi et celui qui vient à moi je ne le jetterai pas dehors ; car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Or la volonté de celui qui m’a envoyé est que je ne perde rien de ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour » (6,36- 39). Et devant les objections des Juifs, il confirme : « Ne murmurez pas entre vous. Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : ils seront tous enseignés par Dieu. Quiconque entend l’enseignement du Père et s’en instruit vient à moi » (6,43-45). Aux disciples sceptiques à cause de ses paroles il dit : « Nul ne peut venir à moi sinon par un don du Père » (6,65). C’est le Père qui attire, conduit les hommes à Jésus, de manière qu’il peut dire : « Ils étaient à toi et tu me les a donnés » (17,6). Donner les hommes à Jésus, c’est le travail du Père jusqu’à la fin de l’histoire : « L’œuvre de Dieu c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé » (6,29). Une action, celle du Père, qui n’est pas limitée à ceux qui lui appartiennent : « J’ai d’autres brebis encore, qui ne sont pas de cet enclos » (10,16) ; elles sont à lui car elles lui ont été données par le Père (10,29). Et il ne suffit pas d’écouter sa parole s’il n’y a pas une très grande docilité au Père qui parle dans le cœur de l’homme. Il faut « croire en celui qu’il a envoyé » (5,24).
- Jésus : la plus grande œuvre du Père Nous avons souligné plusieurs fois que Jésus est la plus grande œuvre du Père, son chef-d’œuvre. Jésus est totalement disponible à son action sur un chemin de pauvreté, d’obéissance et de chasteté, et le Père lui répond en le comblant de ses dons : « Tout ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à moi » (17,10). « Je t’ai glorifié sur la terre ; j’ai achevé l’œuvre que tu m’avais donné à faire. Maintenant, Père, glorifie-moi de la gloire que j’avais près de toi avant que fût le monde » (17, 4-5). En parcourant ce chemin, il est devenu « chemin, vérité et vie ». (13,5). Personne, sans lui ne peut aller au Père (14,6). En le regardant on peut voir le visage même du Père :
« Qui m’a vu, a vu le Père » (14,9). Jésus a donné aux hommes la Parole du Père (17,14) ; a été lui- même la Parole du Père (1,1) ; il a manifesté le nom du Père (17,6). Il est devenu la force secrète qui habite l’histoire et qui conduit tout au Père : « Père, l’heure est venue : glorifie ton Fils, pour que ton Fils te glorifie et que, par le pouvoir sur toute chair que tu lui as conféré, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui a donnés » (17,1-3).
- La communion du Père et du Fils : l’œuvre de l’Esprit Le don total que le Père fait de lui-même au Fils et la réponse généreuse du Fils, qui se donne sans réserve au Père, révèlent la profonde communion qui unit le Père et le Fils. Jésus peut dire : « Moi et le Père, nous sommes un » (10,30) ; et prier ainsi : « Père saint, gardes en ton nom ceux que tu m’as donnés, pour qu’ils soient un comme nous » (17,11). « Que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (17,21). Cette communion est l’œuvre de l’Esprit, qui est descendu sur lui et l’a guidé, en faisant de sa vie une vie de « Fils ». « Oui, j’ai vu et j’atteste que c’est lui, le Fils de Dieu » (1,34).
- Jésus, l’envoyé du Père, associe les disciples à sa mission Jésus, l’envoyé du Père, désire que sa mission puisse continuer dans l’histoire des hommes. Pour cela il envoie les disciples en mission, en les avertissant qu’ils pourront l’accomplir seulement à sa manière : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (20,21). Pour cela il questionne Pierre et lui demande, comme fondement de la mission, un amour sans réserve : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ?» (21,15.16.17). Un amour qui le conduira jusqu’au don de sa propre vie (21,18-19), et qu’il pourra apprendre seulement à la suite de Jésus : « Suis-moi » (21,19.22), en évitant la tentation de penser qu’il sait faire les choses mieux que son maître : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné l’exemple, pour que vous agissiez comme j’ai agi envers vous. En vérité, en vérité, je vous le dis, l’esclave n’est pas plus grand que son maître, ni l’envoyé plus grand que celui qui l’envoie. Sachant cela, heureux serez-vous, si vous le faites » (13, 14-17). La fécondité de l’apôtre se fonde dans une très grande communion avec Jésus, comme celle que Jésus a vécue avec le Père : « Demeurez-en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas de lui-même porter du fruit, sans demeurer sur le cep, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep ; vous êtes les sarments. Qui demeure en moi, comme moi en lui, porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire » (15,4-5). « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour » (15, 9-10). 4.5 L’Esprit : le formateur de l’apôtre Cela est possible uniquement grâce à l’action de l’Esprit. C’est lui qui forme les apôtres à la manière de Jésus, l’envoyé du Père. Pour cela Jésus, après les avoir envoyés « à la manière » de l’envoi qu’il a reçu du Père, « … souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (20,22-23). L’apôtre dans sa mission n’a force aucune sinon celle qui lui est donnée par l’Esprit. Il est le « Paraclet » (14,16.26 ; 15,26 ; 16,7), le Maître (14,26), la mémoire vivante du Seigneur dans le cœur des croyants (14,26). Il ouvre le chemin vers la plénitude de la vérité (16,13), introduit dans l’inépuisable nouveauté de l’Evangile (16,13) ; il est le témoin de Jésus, qui fait des disciples des témoins : « Quand viendra le Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père, L’Esprit de vérité, qui provient du Père, il me rendra témoignage. Et vous aussi, vous témoignerez, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement » (15, 26-27). Fécondité du ministère dans l’Esprit (« De son sein couleront des fleuves d’eau vive »), qui naît d’un besoin permanent de s’abreuver à la source qui est Jésus (« …qu’il vienne à moi et qu’il boive »), fruit de la soif que le Père sans cesse continue à réveiller dans le cœur de l’homme (« Si quelqu’un a soif… »). « Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en lui ; car il n’y avait pas encore d’Esprit, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié » ((7,38-39).
Flavio GRENDELE
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